- Accueil
- >
- Droit social
- >
- Licenciement d’un salarié protégé : revirement du Conseil d’État
Licenciement d'un salarié protégé pour insuffisance professionnelle : revirement de jurisprudence du Conseil d'État
Jocelyne CLERC et Catherine HARNAY, Avocates en droit social au Cabinet ADER JOLIBOIS donnent leur éclairage sur un arrêt du Conseil d’État rendu, le 2 décembre 2024 (n° 487954), une décision majeure modifiant le cadre du licenciement des salariés protégés pour insuffisance professionnelle. Par ce revirement de jurisprudence, il abandonne l’exigence de reclassement au profit d’une obligation d’adaptation, alignant ainsi son analyse sur celle de la Cour de cassation.
Quels étaient les faits et le parcours judiciaire ?
Dans cette affaire, une entreprise a sollicité l’autorisation de licencier un salarié protégé pour insuffisance professionnelle. Cette demande a initialement été refusée par l’inspecteur du travail, refus confirmé par le ministre du Travail. L’affaire a ensuite été portée devant le tribunal administratif, qui a rejeté la requête de l’employeur.
Toutefois, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé ces décisions et jugé que l’insuffisance professionnelle du salarié était suffisamment caractérisée. Elle a souligné que l’employeur avait mis en place des actions d’adaptation et de formation suffisantes. Par ailleurs, elle a précisé qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’imposait à l’employeur une obligation de reclassement en cas d’insuffisance professionnelle, contrairement aux cas de licenciement pour motif économique ou pour inaptitude médicale.
Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
Pourquoi ce revirement de jurisprudence ?
Avant cette décision, la jurisprudence du Conseil d’État imposait à l’administration de vérifier que l’employeur avait recherché un reclassement pour le salarié protégé avant d’autoriser son licenciement pour insuffisance professionnelle. Cette exigence ne reposait cependant sur aucun texte législatif ou réglementaire et résultait uniquement de la jurisprudence administrative.
Le Conseil d’État a désormais abandonné cette obligation de reclassement pour s’aligner sur l’approche du juge judiciaire, qui impose à l’employeur une obligation d’adaptation mais non de reclassement. Cette obligation d’adaptation repose sur l’article L. 6321-1 du Code du travail, qui impose à l’employeur d’assurer le maintien des compétences des salariés en fonction de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Le Conseil d’État a ainsi jugé que l’employeur ne pouvait invoquer l’insuffisance professionnelle que si tous les moyens raisonnables avaient été mis en œuvre pour permettre au salarié de s’adapter à son poste de travail.
Quelles conséquences pour les employeurs ?
Avec cette nouvelle approche, les employeurs doivent porter une attention particulière à l’adaptation des salariés à leur poste avant d’envisager un licenciement pour insuffisance professionnelle. En pratique, cela signifie que :
- L’insuffisance professionnelle doit être objectivement caractérisée par des erreurs, négligences ou manquements répétés du salarié dans l’exécution de son travail.
- L’employeur doit justifier des actions mises en place pour permettre au salarié de s’adapter à son poste (formation, accompagnement, mesures d’ajustement de ses missions).
- L’inspecteur du travail devra vérifier que l’employeur a bien rempli cette obligation d’adaptation, faute de quoi l’autorisation de licenciement pourra être refusée.
Un contrôle renforcé de l’insuffisance professionnelle
Bien que l’obligation de reclassement disparaisse, cette nouvelle jurisprudence ne signifie pas pour autant un assouplissement des conditions du licenciement d’un salarié protégé. L’administration continuera d’exercer un contrôle strict sur l’adaptation du salarié à son poste et pourra sanctionner l’absence de mesures prises en ce sens par l’employeur.
Ce revirement marque ainsi une harmonisation avec le droit commun tout en imposant aux employeurs une responsabilité accrue en matière de formation et d’accompagnement des salariés dans leur évolution professionnelle.
Ce qu’il faut retenir pour éviter les litiges
- L’insuffisance professionnelle d’un salarié protégé doit être prouvée objectivement.
- L’employeur doit démontrer qu’il a mis en place des mesures d’adaptation suffisantes.
- L’administration vérifiera strictement le respect de cette obligation avant d’autoriser le licenciement.
Le cabinet ADER JOLIBOIS se tient à votre disposition pour vous accompagner dans la gestion des relations individuelles et collectives de travail, ainsi que dans le traitement des situations impliquant des salariés protégés.
Contactez-nous
Avocat associé
Avocat sénior